Les répercussions de la guerre sur les artistes peuvent être profondes. Des scènes insoutenables et des expériences effroyables sont transformées en des oeuvres d'art qui rendent hommage au courage et touchent l'âme, ou qui témoignent de la profondeur de la cruauté en montrant l'effroyable manque d'humanité de l'homme envers son semblable. L'artiste de guerre Jack Shadbolt, décédé le 22 novembre 1998, réussissait à déceler honneur et horreur dans l'existence plus prosaïque du front intérieur tout autant que derrière les lignes. Il a laissé un grand nombre d'oeuvres décrivant la guerre et son incidence sur l'esprit humain.

Jack Shadbolt est né en 1909 à Shoeburyness, en Angleterre. Sa famille a émigré au Canada alors qu'il avait trois ans et s'est finalement établie à Victoria (Colombie-Britannique) en 1914. La fréquentation des oeuvres d'Emily Carr et du Groupe des Sept, ainsi qu'un intérêt naissant pour le dessin à l'extérieur, l'ont incité à devenir artiste. Il a plus tard étudié à New York, Londres et Paris, et en 1938 il a commencé à enseigner à la Vancouver School of Art.

Il s'est enrôlé dans l'armée le 28 octobre 1942 en tant que signaleur. Comme il préférait peindre, il s'est parfois employé au cours de son entraînement à dessiner le camp de Little Mountain (C.-B.) et les activités qui s'y déroulaient. En 1944, le Comité des artistes de guerre canadiens l'a choisi comme un des candidats pouvant être enrôlés comme artiste de guerre officiel, mais il n'y avait pas de poste vacant dans l'armée. On l'a donc embauché comme "narrateur", avec le grade de major, et il a été affecté au personnel du directeur des Services historiques, à Ottawa, jusqu'à ce que se libère un poste d'artiste de guerre.

À partir du 23 octobre 1944, il a passé trois semaines à peindre et à dessiner dans un camp d'internement de prisonniers de guerre allemands à Petawawa (Ontario). Les 32 oeuvres sur papier qu'il y a réalisées constituent la part principale de son oeuvre conservée au Musée canadien de la guerre. Les sujets de Shadbolt, exécutés à l'aquarelle ou à la mine de plomb, comprennent des portraits de soldats de la garde territoriale des anciens combattants, de prisonniers allemands, d'équipes de travail et plusieurs oeuvres représentant le lugubre camp lui-même. Dans ces études du camp, les clôtures de barbelés, les tours de guet et les cabanes de bois branlantes évoquent avec une minutie terrible un des aspects de la guerre sur le front intérieur canadien.

Garde montante et descendante CWM/MCG 14265 Un coin du camp CWM/MCG 14259
Garde montante et descendante Un coin du camp
Gardes sur le château d'eau CWM/MCG 14261 Un coin du camp CWM/MCG 14273
Gardes sur le château d'eau Un coin du camp

En février 1945, Shadbolt s'est rendu à Londres, où on lui a confié des tâches administratives relatives au programme des artistes de guerre au Quartier-général de l'Armée canadienne. Là-bas, il a réalisé plusieurs aquarelles de la ville endommagée par les bombes, dont quatre font maintenant partie de la collection Shadbolt du Musée canadien de la guerre.

Fouille des décombres CWM/MCG 4869 Soldats avançant sous la pluie CWM/MCG 4870
Fouille des décombres Soldats avançant sous la pluie

C'est là un sujet qui l'a constamment inspiré ultérieurement, non seulement comme symbole des destructions provoquées par la guerre, mais, et c'est plus important, parce que les ruines lui permettaient de comprendre la nature de l'abstraction. Dans une entrevue accordée le 2 avril 1980 à l'historien de l'art et conservateur Ian Thom, Shadbolt expliquait :

"Soudain, j'ai ouvert les yeux et j'ai compris la nature de cette chose qu'est l'abstraction. Je pense toujours de façon abstraite, mais le problème c'est que ça ne paraissait jamais dans l'oeuvre. Et c'est ça, lorsque la bombe fait exploser le bâtiment en morceaux, elle le rend abstrait, les morceaux se remettent en place et vous avez une image de mémoire de ce qui se trouvait là, mais profondément modifiée et psychologiquement beaucoup plus intense que l'original. Donc, c'était un processus d'abstraction. Alors je me suis mis à considérer les décombres laissées par les bombes dans les termes suivants : "Ici il y avait un bâtiment et en voici les éléments abstraits." Et j'ai travaillé à partir de ça."(1)

Hôtel naval et militaire victime d'un bombardement, South Kensington CWM/MCG 10516

Hôtel naval et militaire victime d'un bombardement, South Kensington

Au cours de son séjour londonien, Shadbolt devait trier et cataloguer les photos prises par le Corps des transmissions dans les camps de concentration nazis de Belsen et de Buchenwald.

L'incidence de son exposition à ces images d'horreur transparaît dans une série de peintures réalisées à partir de 1946, après son retour au Canada.

u cours des 50 années suivantes, Shadbolt a affermi sa réputation d'artiste parmi les plus novateurs et les plus importants du Canada. Il a été pour beaucoup une source d'inspiration et un mentor. Même si sa carrière d'artiste de guerre a été brève, grâce à l'aide des responsables des programmes d'art militaire il a eu l'occasion d'être témoin d'événements qui ont eu une incidence sur son évolution artistique et de les peindre. Les oeuvres qu'il a produites après son service dans l'armée pendant la guerre en sont un témoignage visuel profondément émouvant. Sa principale réalisation est d'avoir su voir au-delà de la scène où se déroulait les événements et de percevoir la tragédie humaine que constitue tout conflit.



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