Voir…sans être vu

Le 26 juillet 2009

C’est lors de la Première Guerre mondiale qu’est né le camouflage : avec l’apparition des avions, se faire invisible devenait essentiel. On camouflait l’artillerie lourde, les casques et les vestes en les peignant de façon à ce qu’ils se fondent au décor naturel. Mais on comprit aussi très vite que plus qu’une tactique passive, le camouflage pouvait être offensif.

On attribue aux Français la création du premier « faux arbre », leurre repris ensuite par de nombreuses armées. L’idée était simple : il suffisait de trouver un grand arbre stratégiquement situé, au sommet duquel on avait vue sur les lignes ennemies. On en faisait ensuite des croquis minutieux. Dans les ateliers de l’unité de camouflage, les artisans créaient une réplique exacte de l’arbre à l’aide d’un cylindre blindé qu’on recouvrait d’écorce. Une échelle permettait de se hisser à une hauteur permettant l’observation par une petite ouverture pratiquée dans le cylindre. Jusque-là, c’était un travail plus près de la création de décor de théâtre que de la tactique militaire; les choses se corsaient lorsque, à la faveur de la nuit, on devait abattre « le modèle » pour le remplacer illico par sa réplique, le tout sans être repéré.

Photo: Imperial War Museum

Œuvres éphémères

On l’aura compris, ces leurres se retrouvaient sur le champ de bataille et bien peu ont survécu aux bombardements. Dans le cadre de l’exposition Camouflage – en cours au Musée canadien de la guerre -, l’idée de recréer un de ces leurres s’imposait. On a donc fait appel à Geoff Wonnacott, chef des expositions, Préparation et montage, au Musée canadien des civilisations. Cette collaboration entre les deux musées a permis de marier les connaissances historiques et les techniques de fabrication, afin de créer de toutes pièces un artefact essentiel.

See … without being seen Dans leurs ateliers de la rue Laurier, Geoff Wonnacott et son équipe ont donc analysé les différents croquis et photos mis à leur disposition. Le premier défi rencontré par les concepteurs de ce « faux arbre » était d’en faire un modèle fidèle aux croquis d’époque, mais qui soit facilement reconnaissable par les visiteurs. En effet, les images disponibles représentaient généralement de grands platanes, essences qu’on ne voit pas au Canada. Geoff Wonnacott a donc décidé de réutiliser un moule de latex qu’il avait créé bien des années plus tôt à partir d’un vieil arbre mort sur sa propriété. On y a appliqué un produit d’acrylique collé à un filet flexible pour un résultat déroutant : une écorce comme on en voit dans toutes nos forêts! Celle-ci a ensuite été collée à un tronc de carton épais auquel on a donné l’apparence de métal rouillé : l’effet est extrêmement réaliste, mais moins coûteux et plus facile à déplacer que les troncs blindés de l’époque.

Claustrophobes s’abstenir…

See … without being seen Pour offrir aux visiteurs une idée concrète de ce que vivaient les soldats postés au cœur de ces troncs, une large ouverture a été pratiquée sur toute la hauteur de l’arbre, afin qu’on en voie bien l’intérieur. Car il faut savoir que les « vrais leurres » étaient généralement munis d’une base de béton enfouie dans le sol dont l’entrée était accessible par une tranchée cachée.

Une étroite échelle de la largeur d’un pied mène au sommet du tronc d’où un discret judas permettait à l’observateur d’avoir une vue sur le camp ennemi. Pour les besoins de l’exposition, un judas supplémentaire a été pratiqué à la hauteur des yeux des visiteurs, ce qui permet une expérience des plus réalistes.

Geoff Wonnacott et son équipe, à travers le processus de fabrication de ce « faux arbre », ont donc fait preuve de la même ingéniosité que les « camoufleurs » de l’époque pour créer un véritable leurre. Ils rendent ainsi l’expérience historique accessible à tous.

Un arbre à voir…sans être vu!