Des boutons qui en disent long

Le 26 mai 2009

Lorsque la responsable des archives du célèbre Festival de Stratford a fait savoir au Musée canadien de la guerre qu’elle venait de recevoir une vieille tunique militaire intrigante, il n’en fallait pas plus pour piquer la curiosité des conservateurs.

Léguée par la succession de l’acteur shakespearien William Ian DeWitt Hutt, décédé en 2007, la tunique queue-de-pie rouge et noire pouvait facilement remonter au XVIIIe siècle. Bien qu’en mauvais état, elle semblait authentique, sauf pour ses boutons trop brillants.

Des artéfacts aussi intéressants ne frappent pas tous les jours à la porte des musées. Eric Fernberg, Gestionnaire des collections, vêtements et insignes, au Musée canadien de la guerre en sait quelque chose. Il n’a donc pas hésité, après avoir vu quelques photos, à mettre ses talents d’investigateur au service de la tunique mystère.

Les indices

Ce qui, pour le commun des mortels, ne serait que tissus mités et boutons trop dorés a révélé de précieux secrets à Eric Fernberg. D’abord, le lainage rouge et les revers de col et de manches en velours noir révèlent l’origine britannique du vêtement. Mais c’était là un vaste territoire de recherche… et d’un intérêt plus limité pour notre collection canadienne.

Deux petits œillets cousus à la main sur une seule épaule, indiquent le rang du propriétaire, mais aussi le type de régiment auquel il appartenait – un bataillon -, puisque les régiments réguliers de grenadiers et d’infanterie légère avaient, eux, des insignes sur les deux épaules.

Enfin, l’œil de lynx d’Eric Fernberg n’allait pas être trompé par l’éclat des boutons. Ils sont authentiques : leur brillance vient de l’or qui les recouvre, métal qui contrairement au laiton, ne souffre pas du passage du temps. Il s’agit aussi d’un indice des rangs militaire et social du propriétaire initial, les boutons des officiers étant de plus grande qualité.

Restait à préciser l’origine de la tunique. Et ce sont justement ces «boutons d’or» qui recélaient tous les secrets : y sont moulés, au centre, le monogramme royal de George III, au-dessus, l’inscription «Quebec Militia» et en-dessous, «1775». Que s’est-il passé en 1775? Les Américains tentant de prendre Québec furent brillamment refoulés par les milices canadiennes et les membres de la force régulière britannique, d’où cette inscription souvenir sur leurs uniformes.

En mettant ensemble toutes les pièces du casse-tête – couleur des revers, nombre d’œillets et inscriptions sur les boutons -, Eric Fernberg conclut : la tunique a été confectionnée après 1805 et a appartenu à un officier du 3e bataillon de Québec de la «British Militia». Cette milice était formée de jeunes citoyens anglophones de Québec.

Ne restait plus qu’à corroborer le tout en fouillant dans les 80 000 artéfacts de la banque de données du Musée. Eurekâ! Une tunique du même bataillon et un drapeau régimentaire rouge et noir, portant l’inscription «Quebec Militia 1775» sont venus confirmer les résultats de l’enquête.

Et maintenant?

La tunique a révélé bien des secrets, mais pour Eric Fernberg, le dossier ne sera clos que s’il arrive un jour à retracer le propriétaire. De longues recherches auprès de la famille du donateur et dans les archives de l’époque l’aideront peut-être à élucider le mystère…