La guitare d’Alf Binnie

Le 1er mai 2013

Dans un camp de prisonniers de guerre allemand, les cigarettes permettaient d’acheter un peu de tout : du savon coûtait 50 cigarettes, du chocolat en valait 200. À chaque livraison de la Croix rouge au Stalag IX-C, le lieutenant d’aviation Alf Binnie mettait de côté ses rations de cigarettes pour acquérir quelque chose de bien différent : une guitare.

Alf Binnie quitte Montréal à 19 ans en quête d’aventure. Une aventure qu’il trouve dans l’habitacle d’un bombardier Wellington qui effectua de nombreuses missions au-dessus de l’Europe de l’Ouest. Il est touché en mars 1941 alors qu’il survole la Hollande. Après avoir été opéré pour une blessure à la jambe, il est envoyé au Stalag IX-C. C’est dans ce camp qu’il utilisa des cigarettes pour convaincre un gardien de prison de lui acheter une guitare dans un magasin de la ville voisine de Weimar.

La facture, datée du 5 février 1942, indique que la « Gitarre » a été vendue pour 120 000 reichsmarks. La Croix rouge fournissait parfois des instruments de musique aux prisonniers de guerre, mais cette guitare était spéciale : il s’agit d’une superbe copie d’une guitare à table voûtée de série Gibson L réalisée par un luthier inconnu.

Admirateur de Django Reinhardt dans ses années de jeunesse à Montréal, Alf pourrait avoir introduit le jazz manouche dans l’orchestre du camp, les Stalagians, ainsi que dans un petit ensemble de jazz connu sous The Four ‘Bilge’ Boys. Un programme d’avril 1942 énumère des pièces comme Artie Shaw’s Arrangement of Cole Porter’s ‘Night and Day’.

Alf parvient à garder son précieux instrument quand il est déplacé de camp en camp, aussi loin à l’est que dans la Lituanie actuelle. Au cœur d’un hiver qui contribua à l’effondrement de l’armée nazie, Alf et 80 000 prisonniers de guerre sont menés vers l’ouest, pour échapper à l’avancée de l’armée soviétique. Un parcours mortel passé à l’histoire sous le nom de « la longue marche ». Alf réussit à survivre et à conserver sa guitare.

Il rapporte l’instrument à Montréal. Après son mariage, il ouvre un hôtel dans les Laurentides et divertit les vacanciers avec cette guitare qu’il a tant trimballée. Elle fait maintenant partie des collections du Musée canadien de la guerre où elle sera également exposée au cours de l’été 2013.