La guerre froide au Canada : le point de vue d’un historien du Musée de la guerre

Le 28 octobre 2014

Surnommée la guerre froide, il s’agit de la période de l’histoire qui a vu le monde sur le point de basculer dans un conflit atomique. Au cours de ces temps très difficiles, personne n’était à l’abri chez soi. Les alertes du service public se succédaient, ordonnant aux citoyens terrorisés de « se mettre aux abris » en cas d’attaque nucléaire.

Face à un anéantissement éventuel, la population canadienne a réagi dans l’indifférence générale, tandis que régnait une certaine confusion entre les divers ordres de gouvernement en ce qui a trait aux juridictions.

Give Me Shelter: The Failure of Canada’s Cold War Civil Defence (UBC Press, 2012), a été écrit par Andrew Burtch, historien au musée Canadien de la guerre, et lauréat du prix C.P. Stacey qui récompense le meilleur livre consacré à l’histoire militaire canadienne. Cet ouvrage retrace les mesures incohérentes prises sans grand discernement par le gouvernement canadien au cours des vingt années qui ont suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale, en réponse à la menace d’une guerre nucléaire.

Au Canada, une organisation stratégique sérieuse a commencé à voir le jour à la fin des années 1940. « Pour chaque pays de l’alliance occidentale, explique M. Burtch, spécialiste de l’après-guerre au Musée, il semblait judicieux que les gouvernements possèdent un programme en cas d’attaque nucléaire. » Les détails de ce programme ont toutefois changé à mesure que les armes nucléaires ont évolué. D’après lui, le modèle initial « était le Blitz de Londres, qui s’appliquait alors à l’ère nucléaire » : les individus recevaient une formation de pompiers, d’infirmières, d’agents chargés de l’évacuation lors des raids aériens, dans l’hypothèse qu’il y aurait assez de survivants après la première attaque pour venir en aide aux blessés et pour lutter contre les incendies. Or, au début des années 1950, avec l’apparition de bombes plus puissantes (city killers, ou « destructrices de villes »), la priorité était accordée à l’évacuation. Avec l’avènement des missiles balistiques intercontinentaux à la fin des années 1950, la tendance était davantage à la « résidence forcée » : il fallait construire un abri pour protéger sa famille des retombées radioactives d’une explosion atomique.

D’après M. Burtch, le programme de défense civile entier était « englué dans une apathie générale. Pendant les jours sombres de la Guerre de Corée ou de la crise des missiles de Cuba, la tension était à son paroxysme », tout comme la conjecture. Mais à moins de se retrouver directement confronté à la crise, personne n’était réellement inquiet. « Une fois passé l’état d’urgence, et alors que les choses semblaient sous contrôle, l’inquiétude a disparu de façon quasi instantanée. » Lorsqu’un exercice d’évacuation conséquent à Calgary a dû être annulé en raison d’une importante chute de neige, « le maire a déclaré que si le temps avait été aussi mauvais, les Soviétiques n’auraient de toute façon pas lancé d’attaque ». Des avis discordants se sont fait entendre au sein du gouvernement pour décider de qui devait assumer les dépenses liées à la défense civile, ou même s’il fallait participer ou non. « La Colombie-Britannique et l’Alberta s’y sont montrées hautement favorables dans les années 1950, contrairement à l’Ontario et au Québec, qui ont rejeté toute forme de financement. » 

La responsabilité de la défense civile s’est vue renvoyée de ministère en ministère. Après 1968, le climat de tension entourant la Guerre froide a commencé à s’apaiser, le sentiment d’urgence s’est évanoui et on a oublié la question de la défense civile. Cependant, indique l’historien, celle-ci n’a jamais complètement disparu. « Sécurité publique Canada, le ministère responsable de la protection de la sécurité des Canadiens aujourd’hui, en est en quelque sorte le descendant direct. »

Le prix annuel C.P. Stacey, décerné par le Comité canadien d’histoire de la Seconde Guerre mondiale et la Commission canadienne d’histoire militaire, récompense la publication la plus remarquable de l’année consacrée à l’histoire militaire du xxe siècle. Grâce à ce prix, M. Burtch rejoint la liste des historiens du Musée de la guerre qui l’ont également reçu. « Tim Cook, Dean Oliver, Jack Granatstein… J’ai l’impression de perpétuer la tradition. »