Histoire d’une correspondance improbable

Le 11 septembre 2013

Entre deux interventions en sol afghan, le soldat Patrick Kègle s’ennuie. Il a le mal du pays. Pour se rappeler le Québec, il écoute le groupe Les Charbonniers de l’enfer. Et leur écrit. C’est la conjointe de l’un des membres qui lui répond. Commence alors un échange aussi fascinant qu’improbable sur la présence des forces de l’OTAN dans ce pays.

En terrain miné relate cet échange épistolaire entre l’écrivaine antimilitariste Roxanne Bouchard et le soldat Patrick Kègle, attaché au Royal 22e Régiment et déployé en Afghanistan. Pour Amber Lloydlandston, l’historienne responsable du contenu de Paix – L’exposition, actuellement présentée au Musée de la guerre, cette correspondance est fascinante. « Ce qu’il y a de remarquable, explique-t-elle, c’est qu’elle présente les deux points de vue diamétralement opposés qu’ont les Canadiens de la paix, à savoir la nécessité de recourir aux armes pour l’instaurer et, au contraire, celle d’y parvenir par d’autres voies. »

À mesure que progresse leur « dialogue », la position de chacun s’assouplit à la lumière des arguments de l’un et de l’autre. Contre toute attente, ce « feu croisé » de lettres scelle finalement entre eux une amitié aussi puissante qu’indestructible.

L’expérience a amené Roxanne Bouchard à revoir l’image du militaire qu’un certain cinéma avait forgée en elle : « celle du fier-à-bras qui tire à tout venant sans trop savoir pourquoi », dit-elle. Elle lui a révélé un être sensible, très réfléchi sur les raisons de sa mission et informé des enjeux de la région du monde où il se trouve. Et, à sa grande surprise, découvre en lui un homme d’une culture assez étendue, aimant la musique et parlant même quelques mots de pachtou. Depuis, Roxanne Bouchard ne milite plus dans le flou. Elle s’intéresse aux pays en guerre et creuse les motifs des conflits.

Patrick Kègle, lui, était dans « le vrai de la guerre ». Il a vu se faire tuer des enfants, leurs mères et d’autres civils, victimes de leur propre régime. Être déchiquetés sous ses yeux des compagnons d’armes, pères de famille comme lui, par des mines improvisées. Pour combattre la barbarie, ramener la paix, il n’y a pas le choix parfois de prendre soi-même les armes. La priorité est d’assurer la sécurité des personnes et de faire primer leurs droits. C’est l’essence même des missions de paix.

Son échange avec Roxanne Bouchard lui a montré que « les mots, les arts en général, peuvent être des agents de paix ». Il cite un passage de Pourquoi la guerre? qui collige la correspondance entre les célèbres Sigmund Freud et Albert Einstein en 1933. Freud écrit : « Tout ce qui travaille au développement de la culture travaille aussi contre la guerre. » Patrick Kègle y croit profondément.

L’écrivaine Roxanne Bouchard et le soldat Patrick Kègle
L’écrivaine Roxanne Bouchard et le caporal Patrick Kègle