À L'Assaut

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Dans les six mois écoulés depuis votre arrivée, tant de choses avaient changé. Bon nombre de vos camarades, comme Johnnie Casey, Alf Newman, David Jodouin et Alex Deslauriers, avaient été tués ou blessés. Henri Lavallée, d’un autre côté, avait été blessé à trois reprises et semblait protégé par le sort. Chaque fois expédié en Angleterre pour se faire soigner, il revenait convaincu qu’il survivrait à la guerre et retrouverait sa femme et ses deux enfants au Canada. Vous-même n’aviez pas eu ne serait-ce qu’une égratignure, à part cette fois où vous vous étiez coupé à la main en nettoyant votre fusil. Humiliant, peut-être, mais certainement pas dangereux.


Vous ruminez ces pensées tout en enveloppant vos jambes de vos sangle de toile, posez votre casque sur votre tête et sortez de l’abri. Vous vous tenez debout sur la marche de tir de la tranchée en tenant fermement votre fusil et en prenant garde de garder la tête bien au-dessous du bord du parapet.

– «T’as entendu, pour Bigras?», demande George, à côté de vous.

– «Non, qu’est-ce qu’il a?»

– «Il est devenu fou pendant la nuit. Paraît qu’il s’est réveillé en hurlant et qu’il s’est précipité dans le No Man’s Land. S’est fait tuer avant que les gars aient pu le ramener.»

– «Dommage», répliquez-vous en revoyant le visage familier d’un autre ami tué à la guerre.

Juste alors, le lieutenant Denonville se matérialise derrière vous en chuchotant son habituelle mise en garde. «Silence ici. Pas besoin de signaler aux boches votre présence!» dit-il avant de poursuivre sa tournée d’inspection vers d’autres troupes.

Drôle de type, le lieutenant Denonville, pensez-vous en vous-même. À peine d’un an votre aîné et pourtant il agit toujours comme s’il était assez vieux pour être le père de tout le monde. Il s’agitait et se tracassait pour toutes sortes de choses. Il devenait absolument blême de rage s’il trouvait une arme qui n’avait pas été nettoyée mais ne sourcillait pas d’un poil devant des uniformes tachés et déchirés. Il insistait pour être toujours salué mais hochait  simplement la tête en retenant un sourire lorsque ses hommes l’appelaient par son surnom. Le «Duc de fer» (d’après le Duc de Wellington). Il arrivait au lieutenant Denonville d’être vraiment insupportable, mais le plus souvent, sa présence rassurait les hommes, et particulièrement les plus jeunes.

L’aube laissant maintenant la place au jour d’un froid cassant, l’ordre est donné de la « descente de garde» lorsqu’il devient évident que les Allemands n’attaqueront pas aujourd’hui. L’ordre est accueilli à la fois avec soulagement et enthousiasme puisque maintenant tout le monde pourra se concentrer sur la partie la plus importante de la journée : le petit déjeuner. Assis près d’un petit feu de camp, vous retirez de leur emballage une demi-douzaine de biscuits secs et ouvrez une boîte de confiture Tickler aux prunes et aux pommes (qui n’a en fait de goût ni de prunes, ni de pommes). La tasse de thé fraîchement infusée et la ration de rhum du matin sont aussi accueillies avec chaleur en un triste matin comme celui-ci. Les hommes, autour de vous, se racontent les potins venant de chez eux. Certains exposent leur point de vue sur la guerre et sa durée, tandis que d’autres se contentent de lire un journal de Québec vieux de deux mois. Les cigarettes et les pipes allumées, les conversations se détendent et s’allègent.


Cette agréable et néanmoins courte récréation terminée, l’ordre est donné de se préparer à l’inspection. Vous prenez le rang avec les hommes de votre compagnie et attendez tandis que le commandant de peloton et quelques autres officiers vous passent rapidement en revue. Après cela, le sergent de peloton, un gros bonhomme moustachu au visage rouge du nom de O’Malley s’adresse à vous d’une voix forte et autoritaire.

– «C’est bon les gars. Une autre belle journée sous le soleil de la France; on a beaucoup à faire.» Les hommes grommellent à la perspective des inévitables corvées qui les attendent. «J’aurais besoin de la moitié de vous au détachement de corvée et l’autre moitié pour faire la sentinelle, à des intervalles d’une heure. Il me faut aussi quelques hommes pour aller jusqu’aux tranchées de l’arrière et ramener un fil de communication. Y a-t-il des volontaires? »